Voici l’HGM : Homme Génétiquement Modifié

Le génie génétique a connu récemment une découverte qui ouvre des perspectives considérables : la possibilité de modifier l’ADN. Deux laboratoires de Boston (Broad Institute) et Palo Alto (Berkeley) s’en disputent la paternité et les brevets, dans un contentieux judiciaire rocambolesque. Une de nos compatriotes, Emmanuelle Charpentier, fait partie des inventeurs de cette technique, qui consiste à utiliser des enzymes pour couper les chaînes d’ADN et modifier l’expression des gènes. Elle est connue sous le nom scientifique de CRISPR-CAS9 et popularisée sous le nom de « ciseau génétique ».

Les perspectives associées sont considérables et suscitent un intérêt proportionnel. Plusieurs maladies pourraient être soignées par les ciseaux génétiques. Les premiers essais concernent les fibroses cystiques, l’hémophilie, les leucémies et le VIH. Les ciseaux génétiques pourraient également permettre de tester les réactions des cellules immunitaires et de modifier leurs réactions à des virus. Des perspectives existent aussi dans la recherche sur la biologie évolutive du développement (evo-devo) ou encore sur le plan énergétique, dans la recherche sur les bio-fuels.

Le 8 novembre en Floride, un autre scrutin avait lieu. 40 000 électeurs se prononçaient sur l’opportunité d’un essai visant à tester sur des moustiques la nouvelle technique. Sollicité par une entreprise de biotechnologie (Oxitech), cet essai est guidé par l’objectif louable de lutter contre la propagation de Zika. En appui à ce type de programme la Fondation Bill and Melinda Gates a récemment investi 75 millions de dollars dans un programme de l’Imperial College, dont l’objet est de rendre stériles les moustiques porteurs du virus de la Malaria par modification de leur patrimoine génétique

Passé inaperçu, ce référendum a eu lieu quasiment sans débat. L’application des techniques CRISPR-CAS9 à l’animal soulève pourtant la question d’un éventuel transfert latéral de gènes et l’émergence de dommages irréversibles à la biodiversité.  La fondation Gates indique que ces programmes contribuent à la préservation de la biodiversité en permettant  de préserver des espèces d’oiseaux de Hawaï menacées par la malaria. Mais l’idée même d’une biodiversité à la main de l’homme a pourtant tout de l’oxymore.

Les risques d’utilisation du CRISPR dans le cadre d’une attaque bioterroriste sont eux aussi réels. Le Council of Advisors on Science and Technology a écrit hier au Président Obama pour lui demander d’actualiser de toute urgence une stratégie contre les risques bioterroristes qu’il comporte.

La lettre du Council of Advisors on Science and Technology

Enfin et surtout l’application du CRISPR à l’homme, que ce soit in vivo ou ex vivo, ne peut s’envisager que d’une main tremblante. Elle fait courir le risque de modification de la lignée germinale. Elle interroge sur notre capacité à prévenir et à maîtriser des mutations non souhaitées (« off target »). Des règles de confinement doivent être posées. Depuis 2012, des laboratoires chinois, britanniques et israéliens se sont précipités.

A l’initiative d’un groupe de chercheurs chinois, un premier article publié dans la revue Protein Cell a fait état de premières expériences confirmant la possibilité de modification du génome d’embryons humains non viables. Le risque d’irréversibilité se pose d’évidence. En modifiant le génome hérité, l’homme se place lui-même comme acteur de l’évolution. Pour des raisons éthiques, plusieurs magazines scientifiques ont d’abord refusé de relayer la publication de Protein Cell. Un large  nombre de chercheurs, parmi lesquels l’une des inventeurs du CRISPR, Jennifer Doudna, a demandé un moratoire dans l’utilisation clinique de cette technologie chez l’homme.

Un symposium international a été convoqué avec pour objectif de définir un cadre éthique aux expériences en cours. Ce sommet a réuni près de cinq cents experts à Washington en décembre 2015 et n’a dégagé aucun consensus. Un premier feu vert pour un essai d’immunothérapie cancéreuse a été donné récemment par les autorités sanitaires américaines. Les inventeurs du CRISPR ont demandé un moratoire sur son utilisation, jusqu’à ce que l’on en maitrise les conséquences. En vain.

Trop tard. Le CRISPR s’essaie désormais sur l’homme. La semaine passée, un groupe d’oncologues chinois a annoncé avoir procédé au premier essai chez l’homme.

L’article de Nature sur le premier essai du CRISPR sur des cellules humaines

Se priver de perspectives de recherche aussi prometteuses ressemble certes à un renoncement. Mais avancer dans l’utilisation du ciseau génétique ne paraît donc concevable que si un principe de réversibilité est posé et si les conditions sont réunies (et contrôlées) pour que ce principe soit strictement respecté.

La réversibilité du progrès devient ici une condition de sa réalisation.

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