Pour un lâcher prise démocratique en Europe

L’Europe de l’après Brexit s’est enfermée dans une stratégie des petits pas qui ne l’amènera nulle part. Une Europe forte est plus que jamais nécessaire, ce qui suppose davantage qu’une Commission européenne courageuse. Un mandat démocratique commun, fondé sur une élection. L’échéance à l’été 2017 du poste de président du Conseil européen pourrait être l’occasion de faire rebondir une proposition allemande : l’élection d’un président de l’Europe.

« Je ne suis pas optimiste. Je suis déterminé ! » disait Jean Monnet.

Il existe de façon d’avancer aujourd’hui. La première est de réformer profondément les élections au parlement européen et de les anticiper. Cette réforme est indispensable pour de simples raisons de représentativité : compte tenu de la répartition actuelle des sièges au parlement, la voix d’un électeur allemand compte aujourd’hui onze fois moins que celle d’un électeur luxembourgeois. Le Parlement européen s’est fortement affirmé ces dernières années dans son rôle de chambre basse, notamment en imposant en 2014 le principe des « candidats de tête » (Spitzenkandidaten) pré-désignés pour chaque parti comme candidats aux fonctions de président de la Commission. Il faut aller au bout de cette logique et affirmer le principe « un électeur, une voix » dans la définition des circonscriptions du Parlement européen. Cela implique d’européaniser les règles électorales, de définir des circonscriptions transnationales et des listes à l’échelle des grands partis européens. C’est ainsi aussi que se mettront en place des règles majoritaires claires au sein du parlement, permettant de faire correspondre un programme à une équipe exécutive.

On rêve parfois à Bruxelles du grand soir du Parlement européen et du jour où il aura la force et la légitimité autorisant un « coup d’Etat constituant » à la mode de 1789. Ce scénario est très peu probable. Il risque de susciter une faible adhésion car il prive les petits Etats d’une large part de leurs députés européens. Il dessaisit les partis politiques nationaux de la prérogative de constituer les listes aux élections européennes. Il impose que le Conseil se lie sur le choix du futur collège. Enfin, il impose surtout de dissoudre à mi-mandat un Parlement en place, ce qui n’est pas prévu par les traités.

Un autre scénario serait plus immédiat et sans doute plus efficace. Parmi les échéances de 2017, l’une est moins attendue : le renouvellement du président du Conseil européen. Le mandat de Donald Tusk arrive en effet à échéance en juin 2017. Il n’a pas démérité. Mais il a d’emblée signifié qu’il ne serait pas l’homme d’un projet européen : « L’idée d’un Etat de l’Union européenne, d’une vision unique… était une illusion », a-t-il déclaré au lendemain du référendum britannique, comme une forme de disqualification de sa propre fonction, censée incarner l’unité de l’Europe. Sera-t-il prolongé par tacite reconduction comme l’avait été son prédécesseur ?

Je souhaite une élection présidentielle européenne en juin 2017, pour la désignation du successeur de Donald Tusk : homme contre homme, ou femme contre femme, projet contre projet. Un débat au fond, que nous n’avons jamais eu dans la clarté. Un débat non pas des « pour ou contre l’Europe » mais un débat sur « quel programme pour l’Europe ? » Et un débat pensé d’emblée dans un espace politique européen, donnant à chaque citoyen de l’Union une voix.

L’idée n’est pas nouvelle et il est bon de se souvenir d’où elle vient. Elle a été envisagée dans le cadre de la convention de 2005, puis reprise par l’actuel ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble en 2009, puis est devenu, à l’initiative d’A. Merkel, un élément du programme de la CDU en novembre 2011 à l’occasion du congrès de Leipzig : une motion sur l’élection d’un président de l’Union européenne, proposée par la direction de la CDU, y a été adoptée à la quasi-unanimité ; sur 1001 délégués, seuls neuf ont voté contre et dix se sont abstenus. En France, l’idée a aussi ses partisans : François Bayrou, Michel Barnier ou encore Nathalie Kosziusko-Moriset. Elire le président du Conseil européen est plus que jamais nécessaire. C’est la seule façon de soumettre un projet politique d’ensemble aux européens et d’assurer son incarnation.

« Le temps est venu d’une percée en Europe… Il faut donner un visage à l’Europe » avait déclaré la Chancelière en 2011. Souvenons-nous aujourd’hui de cette autre bataille de Leipzig. Celle de 1813 est restée dans l’histoire sous le nom de « bataille des peuples », une défaite qui nous rappelle que la France, même impériale, a payé durement le retournement d’alliance de son allié prussien. « Le devoir de notre génération est de compléter l’Union économique et monétaire et de construire une union politique en Europe, étape par étape […] Cela ne signifie pas moins d’Europe, cela signifie plus d’Europe. » Ces mots d’ordre, auxquels la France avait répondu par un silence poli et qu’avec le recul on jugera coupable, est plus que jamais d’actualité. L’Europe ne peut plus avancer sans la légitimité assise d’un vote. Cette proposition ne donne pas plus de compétences à l’Europe – elle en a suffisamment. Elle ne remet pas en cause la méthode communautaire. Elle ne promet pas de grand soir. Elle se contente – mais c’est essentiel – de rétablir le lien entre le vote des citoyens et le projet européen. Elle impose de créer un espace politique européen, avec des partis responsables de proposer des investitures, le cas échéant d’organiser des primaires. Elle donne de la continuité dans le fonctionnement du Conseil. A terme, elle imposera de repenser l’organisation de l’exécutif européen, mais cela peut justement être un enjeu du programme des candidats à cette élection : le chemin compte autant que l’horizon !

Cette proposition est-elle faisable dans un bref calendrier ? En première analyse, changer les modalités de désignation du Président du Conseil européen implique une modification des traités. Cette modification ne peut emprunter la procédure de révision simplifiée, qui est réservée aux dispositions du titre III du traité (politique intérieur). Cela ne paraît pas compatible avec le calendrier envisagé.

Une solution serait d’organiser cette élection en dehors du cadre fixé des traités, sur la base d’un accord intergouvernemental. Sortir du droit de l’Union européenne offre une souplesse de temps. C’est possible. Il existe en effet un précédent à travers le traité instituant le Mécanisme Européen de Stabilité. Ce traité a été adopté sur le fondement de conclusions du Conseil européen. Il mobilise des institutions de l’Union européenne (banque centrale, cour de justice…). Formellement, il ne fait pas parti du droit de l’Union et a été ratifié selon les règles de droit commun de toutes conventions internationales. Ce modèle n’est pas nouveau : Schengen ou encore le processus de Bologne ont été conçus en dehors du droit de l’Union ; il a depuis été reproduit avec la signature en 2012 du « pacte budgétaire ». Plusieurs groupes de réflexion bruxellois (groupe Eiffel, groupe des Glieneker) suggèrent de poursuivre dans cette voie pour approfondir les institutions de la zone euro. La Cour de justice a admis ce montage en 2012 selon une jurisprudence qui semble permettre un traité fixant un protocole électoral pour la désignation d’un candidat au poste de président du Conseil européen.

La France pourrait proposer ce scrutin. Dire qu’elle a une responsabilité particulière à jouer sur la scène européenne est devenu un passage obligé. Mais du dire au faire, les choses sont moins claires. « J’aime trop la France pour ne pas voir ses faiblesses, mais serait bien placée pour ramener l’Europe à l’essentiel… La France aime se diviser sur tout mais elle devrait éviter de le faire sur l’Europe. Elle a un discours à porter, un message à livrer, une certaine idée de l’Europe à défendre. Si un message cohérent venait d’elle, cela aurait un effet important face au discours britannique. La France est insuffisamment fière d’elle-même. Elle a des choses à dire au monde et à l’Europe, qu’elle les dise ! » Cette invitation du président de la Commission européenne, le luxembourgeois Jean-Claude Juncker à destination de nos autorités politiques a été formulé en plein milieu de la campagne du Brexit. Il est exceptionnel et je crois même inédit qu’un président de la Commission fasse ainsi le reproche à notre pays de ne pas être suffisamment à l’initiative. Cette prise de parole n’a été suivie d’aucune suite.

 

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